Une Journée au Collège Texte Patricia Lamaud Illustrations Heirai Lehartel Centre de recherche et de documentation pédagogiques Ministère de l’Éducation Polynésie française © CRDP-MEE 2013 www.crdp.pf
Mon petit frère a du mal à se réveiller. Il fait encore nuit dehors, la pluie a mouillé les vêtements que j'avais mis sur le rebord de la fenêtre. Maman va certainement me gronder, je n'ai pas fait ce qu'elle m'a demandé de faire avant de me coucher hier soir. Ce n'est pas le moment ! Elle est dans la cuisine, le dos tourné, j'en profite pour me glisser derrière la maisonet attraper un short et un tee-shirt secs sur le fil. Où est donc mon short Quicksurf ?... Ouf, il est sec, heureusement qu'il était à l'abri ! Après m’être aspergé la figure avec de l’eau glacée de la salle de bain, je prends la monnaie posée sur la commode de l'entrée. Ma première tâche de la journée : aller chercher le pain chez le Chinois, à la seule lueur des lampadaires. Comme chaque matin, l'odeur du pain qui cuit me chatouille agréablement les narines. C’est le moment de la journée où je croise d’autres enfants du quartier, eux aussi habillés pour aller à l'école. Ils entrent dans le magasin Chez Wong, et en ressortent avec une bouteille de soda coloré ou des sucreries sous le bras. Discrètement, mes doigts habiles parviennent à reconnaître la valeur des quelques pièces glissées dans ma poche : je ne peux acheter que du pain. Au retour, j'ai juste le temps d'avaler mon bol de chocolat, du pain beurré et un peu de poisson frit de la veille. Mais ce matin, je déjeune sans appétit. - Vite, dépêche-toi, Hiroiti, le truck va passer ! Et tu n'as pas fait ton lit ! me crie maman. Teiki, mon petit frère est déjà prêt, il attend devant la maison, près du tiare tahiti au bord de la route, comme tous les matins. Les premiers rayons du soleil commencent à dorer la crête des fougères sur le versant des collines ; plus bas, on entend le joyeux vacarme des oiseaux qui s'éveillent au jour et qui s’agitent dans le feuillage des flamboyants. Le truck arrive. 3 Une journée au collège
Du fond du véhicule, Tehau émet un bref sifflement pour me faire comprendre qu'il m'a gardé une place à côté de lui. Tania, qui est assise devant lui, a les yeux embrumés, ses cheveux sont encore mouillés, elle a dû traverser la rivière sous la pluie, au fond de la vallée. Elle ne me voit même pas passer près d’elle, son regard est perdu dans le reflet de la vitre. Je m'installe près de mon compagnon de jeux, sans un mot, les lèvres serrées. Nous échangeons une brève accolade du plat de nos poings, silencieusement. Barrant l'accès de sa jambe pour sécuriser les marches, l'agent communal, qui me terrorisait encorel'an dernier, fait signe au chauffeur de repartir ; le truck redémarre, il est déjà à moitié rempli, d’autres enfants doivent y monter avant d’atteindre la route principale. Après quelques derniers arrêts sur la route territoriale, le truck se gare enfin devant l'école de mon petit frère. Sans un regard pour moi, Teiki descend les deux marches et se précipite dans la cour de l'école pour occuper le carré de terre réservé aux billes, son ami Raihau le rejoint aussitôt. Nous repartons mais mon regard s'est déjà détourné de la scène, mon attention est maintenant captivée par le sac à dos que tient jalousement un grand de quatrième, à deux rangées devant moi. C'est exactement celui que j'avais repéré à la boutique Neki l’autre jour, un sac noir avec plusieurs poches zippées. Je me souviens que papa n'avait pas voulu me l'acheter, il était trop cher. Et puis il avait fallu choisir entre le sac et la raquette de ping-pong à Noël. Papa est maçon, et à la maison maman s'occupe de ma petite sœur et du bébé de la voisine. Nous vivons chez päpä'uet mämä'u, mes grands-parents. Nous attendons toujours une réponse pour obtenir notre maison. Combien de temps ? Personnene le sait. Ces pensées ne parviennent pas à chasser le malaise que je sens grandir en moi à l'approche du collège. Le portail du collège n'est pas encore ouvert, très peu d'élèves sont présents. Il n'est que six heures et demie du matin. 5 Une journée au collège
- Hiroiti ! Hiroiti ! crie une voix familière. À peine sommes-nous descendus du bus que Mäui accourt vers nous, un casse-croûte au jambon entamé à la main. - Tu as ta raquette de ping-pong ? Tu n'oublies pas qu'on fait la belle aujourd'hui, hein ? claironne-t-il entre deux bouchées, le regard brillant. D'un haussement de sourcils, je lui signifie que je n'ai pas oublié, et je lui tourne résolument le dos. Comment l'oublier ?... Il m'a platement battu hier ! J’en ai même « rêvé » ! Une tape de Tehau sur mon épaule me donne du courage. Nous nous faufilons au plus près du portail pour entrer parmi les premiers, mais aussi pour épier du coin de l'œil ce que Mäui est en train de raconter à son voisin. Je suis sûr qu’il est en train de lui raconter ma défaite ; son air railleur, ses coups d'œil jetés dans ma direction et certains de ses gestes ne me laissent aucun doute. Ma gorge se noue, je ne peux m’empêcher d’éprouver un sentiment de colère, une forte envie de l’étrangler me prend. Je détourne mon regard pour ne plus y penser : autour de nous, les élèves continuent d'affluer. Certains viennent s'amasser en petits groupes de part et d'autre du portail, d'autres préfèrent rester seuls, pensifs. La surveillante ouvre enfin le portail, le flot d'élèves s'engouffre dans la cour. J'essaie de penser à autre chose : le soleil, déjà haut à l'horizon, projette l’ombre des grands arbres sur la pelouse que la rosée du matin illumine de mille feux. Quelques bosquets de bougainvilliers et de tiare tahiti fleurissent çà et là, et d'immenses pürau étendent majestueusement leurs larges feuilles en forme de cœur. Qu’elle est belle, cette nature verdoyante et généreuse ! Je pense à mon cousin qui n'a pas cette chance dans son collège de la ville : en guise d'aire de récréation, un espace rectangulaire et bétonné enserre quelques rares bosquets de végétation. Ici, nos bâtiments sont construits sur les bords d'une superbe pelouse servant de terrain de foot. Un véritable écrin de verdure ! 7 Une journée au collège
Cette image ne suffit pas à chasser la fébrilité qui s'empare de moi. Mon cœur bat la chamade, mes pas me mènent résolument vers les tables de ping-pong qui semblent bien loin du portail aujourd'hui. Tehau reste silencieux à mes côtés, il n'ose me regarder, il a la tête basse. Il était présent hier, et doit deviner ce que je ressens. Mäui s’approche de nous, suivi d'une ribambelle de curieux qui ne veulent rien rater du spectacle. Parmi eux, je reconnais Manu et Ariinui, qui habitent le même quartier que Mäui. Je sens alors la fébrilité se transformer en un curieux mélange, entre l'envie de gagner et la peur d'une nouvelle défaite. Sa raquette neuve à la main, il dépose énergiquement son sac sur un banc, tel un chevalier se débarrassant de sa cape. De ses bras, il simule quelques mouvements d'échauffement et vient se placer en face de moi, à l’autre bout de la table. Je rassemble mes forces et tente de me concentrer. Les battements de mon cœur doivent s'entendre à des kilomètres. Une goutte de sueur perle sur mon front, la moiteur de l’air est déjà palpable malgré l’heure matinale, et la brise légère qui fait frémir les branches du pürau. La première manche est lancée. J'ai l'impression que mon cœur va exploser. J'essaie de me ressaisir ; un coup d'œil rapide à Tehau placé sur ma droite me stimule. Pour contrer une balle énergique de mon adversaire, mon revers vif envoie le projectile dans les branches du pürau. Il emporte le premier set. Des murmures parcourent l’attroupement qui s’est formé autour de nous. Je tâche de garder mon calme malgré le tämürë endiablé qui fait battre mon organe vital. Ma main tremble un peu, j'espère seulement que ça ne se voit pas. Les échanges suivants se passent de manière mieux contrôlée, mais je ne peux réfréner le sentiment que je vais encore perdre cette partie. L'avantage est à mon ennemi. 9 Une journée au collège
La première sonnerie retentit. Les surveillants s’approchent de nous et d'un geste nous intiment de rejoindre les rangs qui ne tardent pas à se former de manière confuse devant les salles de classe. La foule autour de nous se disperse bruyamment. J'essuie soigneusement les deux faces de ma raquette contre le tissu de mon short, sans lever les yeux. - On continue à la récré, à la même table, Hiro ! assène Mäui d'un ton péremptoire. Sans le regarder, je reprends mon sac que Tehau me tend, quelque peu gêné. Je sens mon sang affluer à mes tempes, mais je perçois aussi les regards médusés de Ariinui, de Manu et des autres, se fixer sur mes épaules. Je suis abattu, muet. Et tel un automate, mes pas me semblent lourds, ils me mènent péniblement au pied des bâtiments. La tête basse, je me fonds dans le rang. J'aurais voulu disparaître, là…, d'un coup de baguette magique. Pourquoi ne suis-je pas cloué dans mon lit, avec quarante de fièvre ?... Comment vais-je survivre à ce cauchemar ? Je ne dois rien laisser paraître, il me faut rester de marbre. D'un coup de coude discret, Tehau m'assure de son soutien, ce soutien muet et mutuel qu'on se voue l'un à l'autre depuis la maternelle. Sans un regard pour moi, comme par respect pour mon mal-être, il se rapproche de moi. Ne me voyant nullement réagir, il enchaîne : - Tu vas le battre, Hiro. Je sais que tu vas le battre, il a eu de la chance, c'est tout, me chuchote-t-il sans un mouvement de la tête. Je lui réponds par une très timide et discrète inspiration, marque de notre complicité mutuelle qu'il comprend très bien. Des moments comme celui-ci, nous en avons déjà partagé de multiples fois l'an passé, ces moments pénibles où la présence de l'Autre devient naturellement rassurante. Je sais que je peux compter sur son soutien total. Nous n'avions jamais mis de mots sur cette sorte de contrat moral, mais nous n'en avons jamais douté. 11 Une journée au collège
Le professeur nous autorise à nous asseoir. J’ai tout d’un coup comme un trou noir : une pensée soudaine m'extrait de ma torpeur : non, ce n'est pas possible ! J'ai de nouveau oublié mon cahier de français ! Cela fait la deuxième fois cette semaine ! Je suis bon pour avoir un mot aux parents dans le carnet de correspondance. Bingo, cela ne rate pas. - Hiroiti, serait-ce possible que tu aies ENCORE oublié ton cahier ? Comment veux-tu travailler correctement ?... Donne-moi ton carnet ! Je n’ai aucune excuse,je le sais, mais je ne peux m’empêcher de hausser les épaules, ce qui n'échappe pas à mon professeur qui réagit immédiatement. - L'un des délégués voudra bien accompagner Môssieur Hiro-iti au bureau de la Vie Scolaire pour qu’il s’explique sur son attitude in-so-lente ? Décidément, la journée commençait mal. Je dirais même que la semaine avait mal commencé... Cette défaite hier, la partie plutôt mal engagée ce matin et ce fichu cahier que j'ai encore laissé sur la table du salon... Je vais finir par croire à cette fameuse loi des séries... Le camarade de classe à qui l'ingrate tâche incombe s'exécute. Je reste de marbre sous le flot de paroles moralisatrices du surveillant, celui qui a la plus grosse voix. Mes yeux fixent le sol de ce lieu que je connais si bien. Ces paroles, je les connais aussi par cœur... Je n'essaie même pas de me défendre, je reconnais mes torts, hochant la tête de temps à autre. Ce n'est vraiment pas la peine d'aggraver la situation... Là, comme à chaque fois que le malaise me gagne, je ne desserre pas les dents, ce qui fait souvent dire de moi que je « fais le dur ». Résultat : un mot affligé d'un tampon bleu est mis dans mon carnet de correspondance.Maman va encore me faire les gros yeux et me renvoyer dans ma chambre, privé de télévision. 13 Une journée au collège
De retour en cours de français, je regagne ma place sous les regards gênés de certains camarades. Mettant quelques minutes à reprendre mes esprits, je ne comprends pas le sens de ce qui est demandé. Normal, j'ai raté dix minutes de cours ! Le plus discrètement possible, je questionne ma voisine, elle qui comprend tout car elle fait tout bien comme il faut. Mais là encore la foudre professorale s'abat sur moi. D'accord, je ne dis plus rien ; aussi, je ne ferai rien. Mes yeux errent d'une tête à l'autre dans la classe ; comme je ne les envie pas, tous ceux-là qui exécutent minutieusement les consignes données ! Même Tehau, l'exercice a l'air de l'inspirer...! Oui mais Tehau, lui, il a de meilleures notes que moi. Chez lui, sa grande sœur peut l'aider à faire ses devoirs. Pour ma part, j'ignore si je pourrai un jour être d'un grand secours à Teiki... Et ce n'est pas maman qui va pouvoir m'aider ! Elle n'est pas allée lontemps à l'école... Mon esprit lui aussi se met à errer. Il est actuellement en train de survoler la table de ping-pong, MA TABLE de ping-pong !... Il me faut développer une technique qui va déstabiliser le jeu de Mäui, à moins qu'une main magique guide la mienne comme dans les films de « Matrix » ! Oh oui, ça serait bien ! Et là, on verra bien qui est le plus fort… Non, c'est décidé, magie ou pas magie, je ne vais pas me laisser abattre ! Que vont penser les autres ? L'annonce de la correction interrompt à peine mes pensées. Les voix de mes camarades semblent lointaines, je ne réagis pas, je ne comprends rien de toute façon. Le verdict du conseil de classe du premier trimestre me revient alors à l'esprit et je me décide à faire un effort pour comprendre ce polycopié, je devrais peut-être essayer… 15 Une journée au collège
« Relève le complément de chacune de ces phrases. Lesquels sont COD ou COI ? » Que signifie déjà « COD » ? Et « COI » ?... Ah oui, Complément d'Objet... Mais à quoi correspondent le D et le I ? Mes efforts s'arrêtent là. Je ne sais pas, et je ne le saurai donc jamais ! J'en ai pourtant entendu parler à l'école, il me semble... Finalement, je me surprends à prêter attention aux réponses qui fusent dans la classe et je m'efforce de comprendre en suivant la correction au tableau que le professeur remplit peu à peu. Ça y est, j'ai l'impression de sortir de ma nébuleuse ignorance. Mais oui, D pour « Direct » et I pour « Indirect » ! Oui, je m'en souviens ! Il y a une histoire de proposition... non, de préposition ! Oui, ces petits mots qui ne changent pas d'écriture... Non, on dit « qui ne varient pas ». Madame Teura nous l'avait expliqué l'année dernière, elle s'était même fâchée parce que je n'écoutais pas cette leçon, si importante à ses yeux... Je me rends compte que je suis capable de comprendre une consigne sans attendre qu'on me l'explique ! Je décide alors de m'aventurer au pays des « CO », je lève timidement le doigt. - « La pomme » est COD de « mange » car il est employé sans préposition, donc directement, dis-je d'un ton quelque peu hésitant, même craintif. - Ah, Hiroiti ! Tu me fais plaisir ! Tu vois que tu peux quand tu veux ! Cette gratitude du professeur me donne soudain du courage. Comme c'est magique lorsqu'on se met à comprendre et que tout devient facile tout à coup !... Aussi je n’arrête plus de lever mon doigt, et absorbé par le cours, je n’ai pas vu passer les deux heures de français. 17 Une journée au collège
L'heure d'une autre vérité arrive, celle de la petite balle blanche, de cette terrible balle ! La lanière de mon sac à peine enfilée sur l'épaule, je n'attends pas l'autorisation de sortir et je me précipite à l'extérieur, mes jambes avancent à une vitesse dont je ne me serais jamais cru capable. En quelques fractions de seconde, je suis debout devant la table de ce matin, tapotant une balle de ma raquette. Mäui peut arriver, je suis prêt. Je ne sens pas mon cœur battre aussi fort que ce matin. Étrangement, mes mains ne tremblent pas, ma respiration est à peine perceptible. En quelques secondes, la réflexion de tout à l'heure me revient. Je ne veux pas me laisser impressionner. Cherchant le regard de Tehau dans l'assemblée, je rassemble tous mes espoirs. Au même moment, je m'aperçois que mon ami n'est pas le seul à me soutenir, derrière lui se sont massés tous les amis de notre vallée, de notre quartier. Je me surprends alors à hasarder : - Tu ne me fais pas peur, Mäui ! La partie peut reprendre, je n'entends plus les chuchotements autour de nous. Mon attention se concentre sur la balle, et l'écho que fait son rebond sur la table m'emplit les oreilles et le cœur. Dans mes veines semble circuler une nouvelle énergie. Les sets se succèdent sans que je ne me rende compte des scores que Tania énonce régulièrement. Le combat se transforme rapidement en une compétition de quartiers : la vallée de Tiuro’o contre celle de Faa’ie, la vallée qui m'a vu grandir... La rivalité est palpable, les sifflements stridents et les commentaires rythment nos balles de chaque côté du filet. Le verdict tombe en même temps que la sonnerie marquant la fin de la récréation : les scores sont à égalité. Un brouhaha de désolation parcourt le public. Je ne me laisse pas intimider pour autant et lance à mon rival : - Retrouvons-nous après la cantine, Mäui. Faa’ie contre Tiuro’o ! Les élèves se dispersent pour retourner en classe mais la partie est loin d’être terminée dans les esprits. 19 Une journée au collège
Nous nous retrouvons en Éducation Physique. Notre professeur nous annonce une partie de football avec la sixième Tiare, justement la classe de Mäui ! Je n'en crois pas mes oreilles. L'occasion va m'être donnée de montrer mes talents en la matière car je m'y entraîne tous les mercredis après-midi, au stade. Après quelques minutes de mise en place des équipes, la partie commence. Je parviens à m'imposer rapidement et marque un premier but, devant les yeux ahuris des adversaires désabusés. Sur le bord du terrain, les filles de notre classe, en qualité de supportrices, trépignent de joie et narguent celles de la classe de Mäui. Le mutisme de nos adversaires en dit long sur leur rancœur, les visages sont tendus,fermés. Celui de Mäui affiche un rictus de colère. Tête baissée, il n'ose pas me regarder. Le ballon est remis en jeu. À partir de ce moment-là, l’équipe adverse ne nous laissera plus approcher de leur but, même Mäui s'applique à se rendre actif en ligne de défense et concentre toute son énergie à freiner la balle. Nos offensives ne rencontrent plus qu'un solide acharnement à nous repousser dans nos retranchements. Cependant, à deux minutes de la fin, une nouvelle occasion se présente pour notre équipe. Mais un tacle par l’arrière commis par Mäui, dans la surface de réparation, lui vaut une explusion immédiate du terrain. La tête basse, le fautif s'exécute sans mot dire sous les huées des spectatrices. J'évite de le regarder, pour ne pas rajouter à son humiliation. Sa victime, quant à elle, se relève en boitillant. S'épongeant le front d'un revers de sa manche de tee-shirt, Tehau s'apprête à tirer son penalty. Tous les regards sont tournés vers lui et les cœurs semblent s'arrêter de battre. Malgré les tentatives d'intimidation du gardien de but, Tehau fixe la balle, calculant son tir. La tension est palpable. D'un contre-pied parfait, il envoie le ballon dans le petit filet gauche, sous un tonnerre de hourras. Je me joins à l'attroupement qui s'amasse joyeusement autour de mon ami. La fin de la partie est marquée par un coup de sifflet, les garçons laissent la place aux équipes des filles et se dirigent vers les vestiaires pour se rafraîchir. 21 Une journée au collège
Arrivé à la hauteur des robinets, j’entrevois une silhouette familière, recroquevillée contre le pan d’un mur. Je m'en approche à pas de loup, une cicatrice sous le genou me fait penser que j'en connais le propriétaire. En effet, avec stupeur, je découvre un Mäui déconfit, les yeux dans le vide, les bras ballants, des traces de larmes se devinent sur ses joues noires de poussière. Mon pas se fige. Je ne reconnais pas le fier chevalier de ce matin ; devant moi, gît un malheureux vassal dépossédé de ses attributs par les nobles chevaliers de la seigneurie voisine, après une féroce bataille. Je n'ose bouger pendant un court instant. Je devine aisément ce qu'il ressent, me rappelant le douloureux souvenir de ma récente défaite, lorsque la foule s'était détournée de moi. Seulement, aucune larme n'avait perlé sur mon visage, je les avais réprimées... Je me rends compte en une fraction de seconde combien l'honneur au jeu revêt de l'importance à nos yeux (pour nous les garçons), et combien il devient ridicule de se faire un ennemi au collège, parfois pour de longues années. Prêt à affronter un rejet violent et légitime de sa part, je m'approche. Ses yeux rougis par les larmes restent rivés au sol, sans un battement de cils. Je m'accroupis et lui tends la main, les doigts joints à la verticale, en signe de paix. Quelques secondes s'écoulent, aucune réaction. M'apprêtant alors à me relever pour partir aussi discrètement que j'étais venu, je vois sa main tendue verticalement se lever timidement, et toper la mienne. Ce jour-là, après la cantine, les tables de ping-pong sont restées inhabituellement vides. De quelques citations pour comprendre les autres… « C'est par le malentendu universel que tout le monde s'accorde. »C. Baudelaire « Celui qui sait avouer peut oublier. »F. Picabia « Comprendre, c'est pardonner. »Mme de Staël « L'expérience instruit plus sûrement que le conseil. »A. Gide 23 Une journée au collège
Texte Patricia LAMAUD Illustrations Heirai LEHARTEL Coordination du projet Annie SOSSEY Infographie et mise en page Vetea PUGIBET Responsable de la publication Mairenui LEONTIEFF Travaux initiés et réalisés sous Aline-Titiehu HEITAA-ARCHIER IEN, Directrice du CRDP en 2009 Directrice de la publication Maryel TAEAETUA-PEREZ Directrice du CRDP Imprimé en 250 exemplaires SARL Tahiti Graphics Réf. PI2626-1360 ISBN 2-916454-96-9 Dépôt légal : Juillet 2013
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