Arrivé à la hauteur des robinets, j’entrevois une silhouette familière, recroquevillée contre le pan d’un mur. Je m'en approche à pas de loup, une cicatrice sous le genou me fait penser que j'en connais le propriétaire. En effet, avec stupeur, je découvre un Mäui déconfit, les yeux dans le vide, les bras ballants, des traces de larmes se devinent sur ses joues noires de poussière. Mon pas se fige. Je ne reconnais pas le fier chevalier de ce matin ; devant moi, gît un malheureux vassal dépossédé de ses attributs par les nobles chevaliers de la seigneurie voisine, après une féroce bataille. Je n'ose bouger pendant un court instant. Je devine aisément ce qu'il ressent, me rappelant le douloureux souvenir de ma récente défaite, lorsque la foule s'était détournée de moi. Seulement, aucune larme n'avait perlé sur mon visage, je les avais réprimées... Je me rends compte en une fraction de seconde combien l'honneur au jeu revêt de l'importance à nos yeux (pour nous les garçons), et combien il devient ridicule de se faire un ennemi au collège, parfois pour de longues années. Prêt à affronter un rejet violent et légitime de sa part, je m'approche. Ses yeux rougis par les larmes restent rivés au sol, sans un battement de cils. Je m'accroupis et lui tends la main, les doigts joints à la verticale, en signe de paix. Quelques secondes s'écoulent, aucune réaction. M'apprêtant alors à me relever pour partir aussi discrètement que j'étais venu, je vois sa main tendue verticalement se lever timidement, et toper la mienne. Ce jour-là, après la cantine, les tables de ping-pong sont restées inhabituellement vides. De quelques citations pour comprendre les autres… « C'est par le malentendu universel que tout le monde s'accorde. »C. Baudelaire « Celui qui sait avouer peut oublier. »F. Picabia « Comprendre, c'est pardonner. »Mme de Staël « L'expérience instruit plus sûrement que le conseil. »A. Gide 23 Une journée au collège
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