Désillusions de jeunesse

Je m'étais faufilée au milieu de la foule de curieux qui s'empressaient à l'entrée, je me fis suffisamment discrète pour que Tekina ne me vît pas. D'un coup d'œil rapide, je jaugeais l'ensemble des vingt candidates : toutes étaient plus belles les unes que les autres ! Mais ma préférence allait à ma sœur : elle était incontestablement la plus remarquable ! Tekina savait se mettre à son avantage ; à ma grande surprise, je découvris qu'elle avait subtilisé la tenue que portait maman le jour de son sacre de « Reine des Marquises ». Elle lui allait comme un gant ! Cette tenue n'avait pas perdu de son éclat ni de sa finesse : c'était un deux-pièces de style mämä rü'au, aux échancrures bien coupées qui venaient souligner chacune des courbes du corps sculptural de ma sœur. Elle avait pris soin d'apporter une touche de modernité en dévoilant son nombril et son ventre plat. Elle avait résolument hérité du physique demaman ! Sa beauté ne pouvait laisser le jury indifférent, j'en étais certaine. J'étais moi-même subjuguée ! Mon regard ne pouvait se détacher d'elle. Je ne lui connaissais pas cette sérénité, ni cette confiance : aucun de ses gestes ne dévoilait une quelconque fébrilité. Pour ma part, jem'impatientais et trépignais intérieurement. Tekina se présenta sur le tapis, une main en appui sur la hanche. Son pas était sûr et le port de tête altier. Une vraie princesse ! Arriva le moment de l'interrogatoire. Après quelques questions portant sur ses motivations personnelles, je sentis sa voix gagner rapidement en assurance. Et ce que je craignais arriva. Elle prit ce ton de supériorité que je lui connaissais si bien et que je détestais. Ses yeux scintillaient, le regard était posé. Je perçus subrepticement parmi les membres suprêmes quelques rictus de contrariété, certains visages me semblèrent même se fermer tout à coup ; car la modestie du ton employé jusqu'alors avait laissé place à sa désinvolture habituelle. Non, Tekina, pas ça ! Une question inattendue fusa ensuite de la longue tablée d'examinateurs : - Comment expliquez-vous le paradoxe que vous affichez entre votre tenue vestimentaire et les mèches de couleurs dans vos cheveux ? - Question de culture générale, Mademoiselle : que pouvez-vous nous dire sur la période post-coloniale que représente le style de votre tenue ? surenchérit une seconde voix qui ne lui laissa pas le temps de répondre. Un souffle de stupeur parcourut l'assemblée. Un silence insoutenable s'établit. 12

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