Désillusions de jeunesse

Jamais je ne m'étais sentie aussi coupable d'être mêlée à un tel secret, j'aurais préféré n'en rien savoir. J'en voulais profondément à Heimiti : quel avantage pouvait-elle tirer à envenimer certaines situations ? Pourquoi faisaitelle cela ? Je la maudissais. Raanui m'avait déconseillée d'en toucher un mot à papa. Des deux côtés, le sentiment de trahison m'obsédait : ni lui, ni Tekina ne me le pardonneraient ! Que faire ? Quelle solution avais-je ? J'étais dans une impasse douloureuse, d'autant plus douloureuse que les futures prétendantes ne cachaient rien de leurs nouvelles ambitions dans l'enceinte du collège. Leur attitude que je trouvais déjà ostentatoire s'était accentuée, elle en devenait indécente, intolérable : leur arrivée aux déhanchés honteux chaque matin venait alimenter les commérages. Les regards s'aiguisaient de jalousie, de médisance, de haine presque. Partout autour de moi, j'entendais chuchoter : « C'est sa sœur ! », ou je surprenais des rires étouffés sur mon passage. Un jour pourtant, je dus me résoudre à en parler à maman. Elle était la seule personne raisonnable, capable de m'aider à crever cet abcès qui me rongeait de jour en jour ; elle seule saurait prendre en main cette situation inextricable avec son savoir-faire. Maman était une sage à mes yeux, elle avait toujours su nous sortir de situations épineuses et nous sauver des foudres paternelles. Je me résolus donc à me soulager de ce terrible poids, tout en étant consciente de certaines conséquences... Maman s'effondra sur sa chaise. Le fer à repasser, posé sur son talon, crachait bruyamment sa vapeur au travers de laquelle je crus percevoir deux yeux larmoyants. Elle suffoquait presque. Ses yeux reflétaient l'égarement ou le désespoir, je ne savais le dire. Les seuls mots qu'elle put prononcer furent pour me remercier de mon geste courageux. Oui, il m'en fallait du courage pour en arriver là. J'avais le sentiment de trahir Tekina. Mais mon malaise était devenu si insupportable que je m'étais découvert des démangeaisons sur le dos des mains, il me fallait ce remède, un remède cependant au goût de trahison. Elle resta perplexe durant d'extraordinaires et longues minutes. Je devinai le malaise dans lequel elle se trouvait : comment ménager papa ? S'aventurerait-elle à convoquer ma sœur pour lui faire abandonner ce projet voué à l’échec ? Risquer de provoquer un conflit impitoyable ? Je ne voyais pas de réelle solution. 8

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