Les Chinois de Polynésie française Entre permanence et transformation identitaire

“Je me rappellerai toujours de ma première rédaction de français à l’École des Frères, où l’admission pour les élèves chinois valait bien un baptême… Ce n’était qu’un petit sacrifice bien indolore par rapport à la somme de connaissances qu’apportait la science occidentale, et qui plus est, l’accès au paradis nous était octroyé en prime.” (Ly 1996 : 38) Cette « sortie » du groupe s’accompagne d’une certaine appréhension, dans la mesure où l’on va à « la rencontre de l’Autre », du non-Chinois ou du non- Hakka. En effet, la maîtrise relative du français, voire son absence de maîtrise, ne facilite pas cette démarche. Le milieu scolaire, en dehors des écoles chi- noises, reste un environnement inconnu pour les jeunes Chinois. Il constitue un enjeu majeur dans les contacts et les interactions entre les Chinois et les autres groupes composant les EFO. Les représentations mutuelles de l’ « Autre » s’y forgent en particulier : « À l’école B., je fréquentais des Tahitiens. Dans le temps, on était malmené par les Demis 47 . Ils étaient les mieux placés parce qu’ils parlaient le tahitien et le français. Ils étaient supérieurs pour l’administration… Le Chinois ne parle pas français et le Tahitien n’est pas à la hauteur. Beaucoup d’admiration sur la réussite des Demis (amertume et larmes), on les enviait car ils avaient beaucoup de diplômes. Avant pas l’égalité, troisième catégorie chez nous ! 48 » Ainsi, les Chinois sont victimes de discriminations et d’un regard dépréciatif, si caractéristique de l’ethnocentrisme colonial de l’époque. Il en résulte une hiérarchisation de la société coloniale océanienne, où les colons européens et les Demis sont au sommet de cette pyramide sociale. Par ailleurs, eux-mêmes sont généralement considérés comme supérieur, et ils agissent en conséquence. Ce comportement semble d’ailleurs avoir favorisé les rappro- chements entre Chinois et Tahitiens, dans la mesure où ces deux groupes subissent chacun des registres différents du regard ethnocentrique des colons européens. On peut en effet légitimement penser que le sentiment d’infériorité qu’ils ressentent et qu’on leur impose d’une certaine manière, crée une dynamique commune qui tend à les « unir » face à la domination de ces mêmes colons. Par ailleurs, les échanges entre ces deux groupes sont favorisés, car les Chinois apprennent aussi et par la même occasion le tahitien. Preuve en sont les alliances matrimoniales entre Chinois et Tahitiens. 58 47 Appellation des métis issus des alliances entre Tahitiens, Français et Chinois en Polynésie française. 48 Interview effectuée par Michèle de Chazeaux auprès d’un Hakka de Tahiti, ancien élève de l’École Philan- thropique Chinoise, 2004. (L’initiale de l’établissement scolaire a été modifiée.)

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