Les Chinois de Polynésie française Entre permanence et transformation identitaire

Philanthropique Chinoise d’antan. Tous ont ce sentiment commun d’avoir fait partie ou de faire partie d’une pièce maîtresse de la communauté chinoise de Polynésie française. À cet égard, Yves insiste : « Cette bâtisse en bois qui garde une certaine énergie, je dirais que le temps est passé par là, que les gens sont passés par là. Une certaine énergie s’est installée et on doit le respect, de grandes personnes sont passées, des choses se sont passées, et tu sentais que c’était un endroit qui appartient à des gens importants, des gens qui vivaient là. » L’Association Philanthropique Chinoise est, pour ainsi dire, mythifiée dans la conscience de ses membres ou de ses anciens membres. Outre le fait qu’elle soit un « objet » de mémoire, c’est également un référent important de l’identité ethnique et culturelle des Chinois de Polynésie française. Il s’agit d’un référent par lequel leur ethnicité 61 s’exprime et se donne à voir. L’Association Philanthro- pique Chinoise est une référence identitaire commune pour les Chinois, dans la mesure où elle fait partie de l’histoire des Chinois de Tahiti. Elle en est un symbole. Selon les propos de bon nombre d’informateurs, elle semble incarner la communauté chinoise à elle seule. Cela est sans doute dû au fait que la mémoire et l’identité sont intimement liées 62 . Ainsi, la mémoire n’existe pas sans identité, et inversement, l’identité ne peut pas exister sans mémoire. Les deux sont indissociables, et ils s’inter- pénètrent mutuellement. En effet, selon Anne Muxel, le travail de mémoire construit l’identité d’un individu. Il s’agit d’un travail de réappropriation et de négociation que toute personne fait vis-à-vis du passé fondateur de son identité (Muxel : 1996). Quant aux souvenirs, ces derniers sont sans cesse reproduits. Ils permettent que se perpétue, comme par l’effet d’une filiation continue, le sentiment de notre identité (Halbwachs : 1950). Par conséquent, on peut supposer que ce sentiment d’identité est fortement lié à celui de sinité ou d’« hakkaité ». Il se forme et se développe dans le cadre de la mémorisation de l’Association Philanthropique Chinoise. 67 61 « L’ethnicité est un aspect des relations sociales entre des acteurs sociaux qui se considèrent et qui sont considérés par les autres comme étant culturellement distincts des membres d’autres groupes avec lesquels ils ont un minimum d’interactions régulières. » (Martiniello 1995 : 18-19). Fredrick Barth est un des premiers cher- cheurs à proposer une approche non substantialiste de l’ethnicité. À travers Ethnic Groups and Boundaries. The social organization of culture difference (1969), il étudie les dimensions identitaires du phénomène ethnique. Pour lui, la substance culturelle de l’ethnicité est secondaire par rapport à l’établissement des frontières ethniques entre les groupes. Les différences créées construisent ainsi l’identité des ethnies. 62 « la mise en relation des états successifs que connaît le sujet est impossible si celui-ci n’a pas à priori conscience que cet enchaînement de séquences temporelles peut avoir une signification pour lui. » (Candau 1996 : 119)

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