Les Chinois de Polynésie française Entre permanence et transformation identitaire
Martin fait donc un parallèle entre l’association et le village de son grand-père. Il s’agit de « son » village en Chine, « le berceau de ses origines ». Pour lui, la distance entre la Chine et Tahiti ne change en rien les mœurs que connaissent ces deux lieux différents. Ces dernières restent identiques malgré l’éloignement. Ainsi : « Seul l’environnement est différent. » Martin cite no- tamment comme exemple : le fait qu’après manger les hommes se réunissent et discutent. Pendant ce temps, les femmes se mettent à débarrasser, à faire la vaisselle, et à « jacasser ». Tout comme il a pu l’observer dans « son » village. On voit bien ici comment l’association relie le territoire d’origine et le territoire d’accueil. Elle crée un lien symbolique entre ces deux territoires. De plus, le village natal a également une signification particulière aux yeux de Martin. En effet, la « terre de ses ancêtres » représente la Chine : « La seule chose que je connaisse de la Chine, c’est le village de mon grand- père. C’est un pied d’attache où je sens qu’il y a la racine, la racine de la famille G.T. » Cette référence identitaire et culturelle semble être partagée par la plupart des Chinois de Polynésie française, et encore plus par ceux qui ont eu l’opportunité de se rendre en Chine. Pour les autres, le village natal et la Chine restent marqués par le fantasme ou le désintérêt. En effet, combien de fois entend-on qu’un tel est retourné au « village d’origine » ou qu’un autre « retourne au village » ? À ces mots, ceux qui ne sont jamais retournés en Chine peuvent seulement imaginer : comment peut bien être constitué « le » village, celui des ancêtres. Le lieu où tout a commencé, à partir duquel sont partis les arrière-grands-parents et les grands-parents. Là où l’on peut sentir également « la racine » familiale. Toutes ces démarches mènent doucement à se faire une représentation personnelle de la Chine : « le » village natal devient « la » Chine. Mais cette dernière est issue d’un autre temps, celui des aïeuls. Elle n’a plus rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Pour autant, « le village » reste un lieu de mémoire privilégié pour la majorité des Chinois de Polynésie française. Car il représente l’expression de la culture et de l’identité chinoise-hakka (Rubin : 1995). Les liens familiaux et claniques y sont très forts, et ces valeurs y sont encore largement prégnantes aujourd’hui. « Le village » est donc un référent identitaire important, de même pour les autres populations immigrées ou issues de l’immigration (Laurens, Roussiau 2002 : 208). Tout comme l’Asso- ciation Philanthropique Chinoise, le « village » constitue un patrimoine idéel qui s’incarne à travers cette association. 74
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