Fiorina

Ministère de l’éducation

Louise ROULLET Jean Charles MOUTOU Centre de recherche et de documentation pédagogiques Ministère de l’Éducation Polynésie française © MEA DGEE 2020 www.education.pf

4 OUIIINN ! OUIIINN ! OUIIINN ! INNINNINNINNINNINN ! Les cris insupportables d’un nouveau né retentissent dans toute la fourmilière. Que se passe t il ? s’écrie Mamamia, la nurse en chef, horrifiée. Nous ne le savons pas, mentent les nurses surveillantes, en se jetant un coup d’œil complice. Amalita, regarde et trouve moi rapidement quel est ce bébé qui pleure aussi bruyamment ! ordonne Mamamia. Et puis non ! Je vais y aller moi même, décide t elle abruptement. Oh ! là là ! Les nurses se dévisagent avec consternation. Mamamia ne sera pas contente, murmure l’une d’entre elles à sa voisine. OUIIINN ! OUIIINN ! OUIIINN ! Les cris redoublent d’intensité. Au pas de course, Mamamia parcourt les allées souterraines et arrive devant la crèche des ouvrières. Qui ose faire tout ce bruit ? s’écrie t elle. Les berceuses affolées sont toutes regroupées autour d’un berceau. Vite ! Quel est son nom ? demande Mamamia d’une voix pressante. Euh !... gênées, les berceuses tentent de masquer l’étiquette portant le nom de ce bébé qui n’arrête pas de brailler. Poussez vous, laissez moi voir son nom. FI ORI NA ! scande Mamamia. Mais qu’a t elle donc pour s’égosiller ainsi ? bougonne t elle.

Soucieuse et fébrile, Mamamia consulte le carnet de vie de Fiorina. C’est une petite larve tout à fait comme les autres. Voyons… d’après son carnet, elle a pris du poids très progressivement, normalement... Mamamia !… interviennent respectueusement les nourrices. Oui ? Y a t il quelque chose d’autre ? Mamamia… répètent les nourrices embarrassées, nous la nourrissons bien et pourtant elle réclame plus de tétées que les autres bébés de sa rangée… Que devons nous faire ? 6

Oh ! Je vois… murmura Mamamia en se penchant sur le berceau de Fiorina qui hurlait toujours. Nous nous sentons très «spéciale», n’est ce pas Fi o ri na ? lui demanda t elle légèrement ironique. Alors écoute moi bien, petite Fiorina ! Continue ce caprice ! Oui, ce caprice, répéta t elle. Réclame plus de nourriture qu’il ne t’en faudrait si cela te chante ! Mais je te préviens, tu seras tellement bien nourrie que tu deviendras ce que sans doute tu ne voudrais pas être une ouvrière «spéciale», et même «spécialisée» dirais je. Oui Fiorina, à force d’être gavée, tu seras tellement forte, tellement imposante, que tu feras partie des fourmis qui assurent la défense de notre fourmilière. Tu seras soldat dans l’armée de Sa Majesté, Fiorina ! La petite larve Fiorina cessa ses cris immédiatement. À première vue, elle n’avait pas du tout mais alors pas du tout envie de devenir un soldat ! Au premier et tardif sourire de Fiorina, un léger sourire indéfinissable flotta sur les lèvres de Mamamia. 8

C’est ainsi que Fiorina la fourmi fit son entrée dans le monde très organisé de la Fourmilière du pas de souris : en faisant désordre… Un jour, Mamamia fut appelée au chevet de Fiorina qui avait, d’un cri déchirant, effrayé ses amies. Mamamia, affolée, se pencha sur Fiorina qui était tombée sans connaissance. Elle procéda à un examen sérieux de Fiorina en pleine mutation : La tête, le thorax, l’abdomen, les antennes... une, deux... une bouche avec ses deux mandibules : hmmm, tout est parfait ! conclut Mamamia, terminant son inspection. Fiorina reprit ses esprits et murmura quelque chose d’à peine audible : elle… elle… elle…. Que dis tu Fiorina, nous ne te comprenons pas ! demanda Mamamia, compatissante. Mes ailes ! Où sont mes ailes ? gémit Fiorina, la voix cassée par de gros sanglots. Où sont elles ? Voyons Fiorina ! Tu n’en as pas et tu n’en auras jamais ! Tu ne le savais pas ? lui demanda Mamamia. Mais je suis u ne prin cesse, hoqueta Fiorina, la Reine s’est trompée ! Mamamia, Amalita et ses amies se regardèrent, consternées. Notre Reine ne se trompe jamais Fiorina, rétorqua Erminia. 8

Depuis sa naissance, Fiorina avait toujours estimé qu’elle n’était pas née dans le bon berceau, donc, pas dans la bonne nurserie. À son avis, elle aurait dû naître dans un berceau de l’étage au dessus, dans la crèche ouatée des princes et des princesses. Au lieu de cela, elle s’était retrouvée dans le modeste berceau réservé à la multitude des ouvrières. Elle n’était qu’une SIMPLE ouvrière ! Fiorina grandit ainsi, en bonne santé mais refusant toujours sa modeste condition. Cet état d’esprit l’amenait à se comporter autrement que ses amies, qui n’ont jamais su si elle souffrait toujours de n’être qu’une ouvrière ou si elle était tout simplement d’un affreux égoïsme. Personnellement je pense qu’elle n’était pas à proprement parler «égoïste», mais plutôt «égocentrique». Toujours est il que sa conduite lui faisait souvent commettre beaucoup d’imprudences que ses amies tentaient de cacher aux autres membres de la communauté. À plusieurs reprises, elle subit des remontrances de la part de ses chefs car ses incartades mettaient souvent en péril toute la fourmilière. Est ce cela qui expliquait son naturel solitaire et mélancolique ? Malgré ses nombreuses activités, elle aimait beaucoup s’attarder dans les galeries menant aux appartements réservés aux princes et aux princesses. 12

Un jour qu’elle avait pour tâche l’ouverture des portes de la fourmilière, elle fit exactement l’inverse de ce qu’il fallait faire : les portes à n’ouvrir que l’après midi, elle les ouvrit le matin et celles du matin, elle les ouvrit l’après midi ! Je vous laisse imaginer ce qu’il en fut de la ventilation de la maison fourmilière ce jour là et de la chaleur extrême qui y régna ! 14

Un autre jour, elle décida de changer de parfum. Oui ! Au lieu de porter le parfum traditionnel et obligatoire des ouvrières, elle se mit en tête de se procurer un parfum d’ouvrière dans une super colonie voisine ! Pouvez vous vous représenter un seul instant le danger qu’encourut l’ensemble des membres de la fourmilière de Fiorina ce jour là ? Et si les autres fourmis de son équipe en avaient fait autant, se parfumant chacune dans une super colonie différente ? Heureusement, une jeune fourmi de l’équipe de Fiorina, complètement désorientée, fut trouvée en pleurs et put expliquer que n’ayant pas reconnu l’odeur de Fiorina, elle crut qu’elle était tombée en territoire ennemi ! 16

Fiorina ! Fiorina ! Les pucerons joyeux l’appellent à grands cris tous les jours à l’heure de la traite. Mais voilà ! On ne sait pourquoi, Fiorina ne trait que ceux qu’elle a choisis pour cette tâche ! 18

Un jour de fête arrive. Toute la fourmilière est en ébullition dans les préparatifs des festivités. Que se passe t il ? intervient le capitaine de police dans une dispute entre Fiorina et ses congénères. C’est encore Fiorina ! Elle ne veut pas entreposer la nourriture dans les gardemanger collectifs de la fourmilière. Oui ! Mademoiselle se fait une réserve personnelle ! Ça c’est nouveau ! En voilà des manières Fiorina ! Ne serais tu pas un peu trop égoïste ? réplique le policier. Mais non, pas du tout ! s’insurge Fiorina. La raison en est tout simplement que lorsque les grandes réserves seront épuisées, vous serez bien contentes de savoir qu’il y a encore un peu de nourriture pour nous permettre de survivre. Je fais des réserves supplémentaires. 20

F iorina n’en fait qu’à sa tête ! Fiorina est égoïste ! Fiorina ne fait rien comme les autres ! Les reproches s’amoncellent sur la tête de Fiorina. Cette fois, Netto, chef d’équipe du service de nettoyage, va se plaindre à l’agent municipal. Je suis terriblement contrarié par Fiorina ! Lorsqu’elle doit faire le ménage, elle fait ce qu’on lui ordonne de faire, mais choisit ses tâches. D’autre part, je ne peux jamais lui confier la besogne de porter les fourmis mortes au cimetière. Que dit elle pour sa défense ? Elle dit qu’elle est trop sensible. Et c’est vrai ! Elle ne fait que pleurer tout au long de l’enlèvement. Poussant un gros soupir de lassitude, l’agent le renvoie et lui conseille de porter toutes ses doléances devant des personnes plus compétentes que lui. 22

24 Que dois je faire ? se demanda Rosetta. Nous sommes à la veille de la «Fête du gâteau au miel doré». Fiorina ne trouva rien de mieux à faire que d’aller chercher ses invités dans une autre super colonie infestée de fourmis de feu, leurs pires ennemies ! Les fourmis de la Fourmilière du pas de souris qui l’accompagnaient ne durent leur salut qu’à leur vélocité face aux fourmis de feu à la lenteur légendaire. Jusqu’ici nous avons toléré les manières de Fiorina, mais cette fois, nous sommes bien obligées de porter cette affaire très grave devant la Reine, décida Rosetta d’un ton péremptoire.

La Reine Sofia, qui avait dû interrompre sa ponte pour ce conseil exceptionnel, ne se fâcha pas. Après avoir imposé le silence à ses sujets, Sa Majesté la Reine Sofia, contre tous les usages, s’adressa d’une voix très douce directement à notre Fiorina : Fiorina, tu es une fourmi comme nous et nous sommes des insectes sociaux ! Il faudra t’y faire ! Nous travaillons en commun pour nous nourrir, nous défendre et nous développer, et c’est grâce à notre vie en communauté que nous avons pu survivre depuis l’aube des temps. C’est grâce à ce mode de vie que nous construisons toutes nos cités. Lorsque tu prends trop d’initiatives personnelles, tu mets en péril notre communauté. Qu’allons nous faire de toi ? T’exiler dans une autre super colonie qui accepte des émigrés ? Oh !!!! Non !!!!! gémit douloureusement Fiorina. Majesté, je vous en supplie ! Ne m’exilez pas ! Alors, je veux bien que tu restes parmi nous, mais il faudra te plier à nos règles. Tu as bien compris que les transgresser pouvait nous mettre en danger, n’est ce pas ? Oui Majesté, soupira Fiorina en s’inclinant. Allons ! Nous reprenons la ponte ! La séance est levée ! La ventilation s’il vous plaît ! ordonna la Reine. 26

28 Fiorina se précipita alors dans les souterrains, heureuse de pouvoir vivre parmi les siens. Malgré tout, à la Fourmilière du pas de souris , on l’aimait bien Fiorina.

Texte Louise ROULLET Illustrations Jean Charles MOUTOU Infographie et mise en page Titaina TERAI Responsable de la publication Mairenui LEONTIEFF Travaux initiés et réalisés sous Jean Louis LAFLAQUIÈRE IEN, Directeur du CRDP Directeur de la publication Jean Michel GARCIA DGEE Réf. : PI 20020 ISBN : 978 2 37317 047 4 Dépôt légal : 2020

Réf. : PI 20020 ISBN : 978 2 37317 047 4 © MEA DGEE 2020 www.education.pf D r o i t a u r e s p e c t d e l a v i e en s o c i é t é Au travers de cet album, un droit possible à aborder... L’éducation de l’enfant doit viser à préparer l’enfant à assumer des responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension et de tolérance et lui inculquer le respect des autres. Art. 29 de la Convention internationale des droits de l’enfant

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