Une histoire de l'Océanie

Au XVIIIe siècle donc, de nouveaux venus apparaissent dans le Pacifique. Les Russes, en terminant la conquête de leur « Far East » sibérien, deviennent riverains de l’océan Pacifique. Au milieu du siècle, Béring pénètre dans le détroit auquel il donne son nom, explore les Aléoutiennes, découvre l’Alaska. Dès lors, les Russes rencontreront les Espagnols en Californie. Ils convoitent également les Kouriles proches du Japon. La principale activité économique est la chasse à la loutre de mer pour sa fourrure. Mais les Russes se cantonnent à la partie septentrionale du Pacifique qui devient un « lac russe » (de l’archipel des Kouriles aux côtes de l’Alaska) et n’abordent pas encore l’Océanie proprement dite. Ce sont les Anglais et les Français qui vont faire irruption dans l’espace océanien. La curiosité scientifique remplace le prosélytisme religieux, la volonté d’expansion se substitue à la recherche à court terme de richesses. Les savants de l’antiquité admettaient la rotondité de la terre et l’existence d’une « Terra australis » faisant contrepoids aux continents de l’hémisphère nord : ce savoir (erroné) avait été oublié au Moyen Âge puis redécouvert au XVe siècle ; il restait aux hommes du XVIIIe siècle des Lumières à compléter ces connaissances. Les progrès techniques rendirent leurs expéditions plus efficaces : ces navigateurs disposaient de meilleurs navires, de sextants perfectionnés et surtout de l’indispensable chronomètre de marine permettant de calculer la longitude (et qui rend obsolète la corde à nœuds servant à estimer la vitesse et donc la distance parcourue). Désormais, les cartes quadrillées par un réseau de parallèles* et de méridiens* rendraient de mieux en mieux compte de la réalité géographique. Il faut cependant préciser que l’utilisation du chronomètre de marine ne s’est généralisée que dans les années 1780 et que cet instrument de navigation évoluera vers des modèles de plus en plus petits. En 1764, le Royaume-Uni envoie dans le Pacifique, par la route du cap Horn, Byron qui redécouvre les îles Salomon tombées dans l’oubli depuis le début du XVIIe siècle. En 1766, Wallis part à son tour, naviguant de conserve avec Carteret. Wallis en 1767 est le premier Européen à rencontrer les habitants de Tahiti (baie de Matavai). Cet événement suscite chez les Tahitiens peur et agressivité, incompréhension et curiosité. Après plusieurs échauffourées, Wallis noue un premier contact ambigu avec les insulaires. Un autre épisode de ce voyage est important pour l’avenir. Séparé par le mauvais temps de Wallis, Carteret aperçoit une île dont il peut déterminer la latitude (25° Sud) mais pas la longitude du fait sans doute d’un matériel défectueux ou de circonstances météorologiques défavorables ; cette île sans nom est en fait Pitcairn. En 1768, le Français Bougainville succède à Wallis à Tahiti (baie de Hitiaa). Les relations sont moins mouvementées même si l’excitation reste générale. Le succès de son livre « Le voyage autour du monde » échappera à Bougainville à son retour en France et, dépassant sa pensée, contribuera au mythe du « Bon sauvage » et du caractère paradisiaque de Tahiti. Dès cette époque, l’Océanien apparaît ambivalent à l’Européen : il est à la fois le bon sauvage et le sauvage cannibale. Si on regarde les choses du côté des Océaniens, un dénommé Ahutoru fut le premier Polynésien à se rendre en Europe. D’autres Français exploreront le Pacifique : Surville, Marion du Fresnes, La Pérouse dont l’expédition fera naufrage en 1788 à Vanikoro aux îles Salomon. Entre 1791 et 1793, d’Entrecasteaux, parti par la route du cap de Bonne-Espérance à la recherche de La Pérouse, atteindra l’Australie, la Tasmanie, la Nouvelle-Calédonie, les Moluques… L’histoire interne des sociétés océaniennes n’a pas été immobile. Si les Mélanésiens se montrèrent essentiellement conservateurs, en revanche les Polynésiens évoluèrent davantage. Les Polynésiens ont vécu dans des sociétés de plus en plus stratifiées et hiérarchisées. Les familles des chefs (ari’i) se distinguèrent du reste de la population par la possession d’objets somptuaires ; elles renforcèrent leur contrôle des hommes du peuple (manahune) et vécurent de leur travail. Les familles des ari’i formèrent des castes dont la domination fut justifiée par des généalogies faisant descendre les chefs des dieux et remaniées en fonction des événements locaux. L’évolution du panthéon aux îles de la Société à partir du XVIIe siècle est un révélateur des changements politiques et sociaux : ainsi Tane céda la place à son filsTaaroa qui fut supplanté par son fils Oro, dieu ambivalent de la guerre et de la fertilité. Oro était servi par les prêtres-artistes, les ari’oi. Les marae devinrent de plus en plus importants et une nouvelle architecture en gradins apparut. Au XVIIIe siècle en Polynésie orientale, les guerres entre chefferies furent nombreuses, les rivalités pour le pouvoir symbolisé par les ceintures de plumes en étant la principale raison (plumes rouges – maro ’ura – à Tahiti et plumes jaunes – maro tea – à Bora Bora). D’une façon générale, les guerres intestines en Polynésie ont été fréquentes et violentes (Rapa Nui, Tonga, Tahiti…). On peut aussi supposer que de nombreuses histoires couraient parmi les Polynésiens sur la venue récurrente 39

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