Une histoire de l'Océanie

Les épidémies furent la première conséquence de l’irruption des Occidentaux dans l’océan Pacifique et celle qui eut le plus de répercussions sur les sociétés océaniennes. Les maladies contagieuses, involontairement apportées par les Occidentaux, tuèrent au XIXe siècle la majorité des habitants de l’Océanie dépourvus de réponses immunitaires du fait de leur long isolement (comme en Amérique) et entraînèrent un déficit des naissances concomitant. La possibilité de résistance militaire et la capacité d’adaptation culturelle s’en trouvaient profondément diminuées. Il faut imaginer la détresse de peuples se voyant mourir et se croyant abandonnés de leurs dieux. Aux maladies devenues endémiques comme la tuberculose, la rougeole, la syphilis s’ajouta la surmortalité liée à l’alcoolisme et aux armes à feu. L’Océanie ne fut pas épargnée non plus par des épidémies récurrentes de variole et par la pandémie de grippe espagnole de 1918 et 1919 qui faucha dans le monde plusieurs dizaines de millions de personnes et décima entre autres 20 % de la population des îles Samoa. Prenons quelques exemples : • La situation des Aborigènes fut particulièrement tragique. La population des Aborigènes varie selon les historiens de 300 000 à 1 500 000 avant l’arrivée des Européens. À la fin du XIXe siècle, il en restait moins de 100 000. Certains groupes avaient totalement disparu du fait des épidémies mais aussi des combats et du refoulement vers l’intérieur du territoire si bien qu’on peut parler de situation génocidaire. La « Guerre noire » de Tasmanie fit disparaître la totalité de la population autochtone (la dernière survivante connue fut Truganini) ; • La population de Nouvelle-Zélande est estimée entre 150 000 et 250 000 habitants au XVIIIe siècle. En 1840, les Maoris étaient environ 100 000, 50 000 en 1860 et 40 000 vers 1900 alors que parallèlement la population anglo-saxonne augmentait, inversant la supériorité numérique et rendant le rapport de force toujours plus inégal : 2000 Blancs en 1840, 60 000 en 1860, 200 000 en 1870 ; • Il y avait entre 200 000 et 300 000 Polynésiens à Hawaï à la fin du XVIIIe siècle contre 70 000 en 1850 et 40 000 en 1900 (tandis que la part des Asiatiques et des Occidentaux augmentait de son côté) ; • On dispose de chiffres précis pour les Marquises grâce aux archives diocésaines et administratives. Environ 90 000 habitants à la fin du XVIIIe siècle, 30 000 en 1831, 3224 en 1911, 2282 en 1928 : la population avait été divisée par 25 ; • La faiblesse des effectifs démographiques permet de comprendre l’histoire coloniale. Avant l’arrivée de Wallis, les Îles du Vent (Tahiti et Moorea) comptaient environ 80 000 habitants. À la fin du XIXe siècle, la population des îles du Vent s’établissait dans un ordre de grandeur de 10 000 personnes, les Îles Sous-le-Vent 5000, les Marquises 3000, les Gambier 1000, les Tuamotu 3000, les Australes 500. Il faut avoir à l’esprit que les effectifs étaient 5 à 10 fois supérieurs un siècle auparavant. La reprise démographique date des années 1920 ; • L’exemple extrême en Polynésie est celui de l’Île de Pâques. Entre 10 000 et 15 000 habitants au XVIIIe siècle, les Pascuans n’étaient plus, suite aux maladies et aux rafles des esclavagistes péruviens, que 130 habitants en 1878 ; • En Nouvelle-Calédonie qui n’est pas un exemple extrême de dépopulation, certains administrateurs coloniaux français pensaient non sans arrière-pensée que la population kanake s’éteindrait progressivement. Comme en Polynésie orientale, la population ne recommença à croître que dans les années 1920. De 50 000 à 90 000 au XVIIIe siècle, les Kanaks étaient passés à 30 000 en 1900. Il est nécessaire de replacer la colonisation de l’Océanie, et donc l’apparition de frontières coloniales, dans un contexte plus large. Le XIXe siècle correspond à la période industrielle qui révolutionna les transports et les communications. Au milieu du siècle, des ports de relâche pour l’approvisionnement en charbon deviennent indispensables. Ainsi, non seulement les progrès maritimes facilitèrent la navigation dans un espace océanique immense mais encore exigèrent la formation d’un réseau de ports échelonnés. Après l’ouverture du canal de Suez en 1869, des travaux commencèrent dans l’isthme de Panama dès 1880 (en fait le canal de Panama ne fut achevé qu’en 1914) ; la perspective de l’ouverture de ce canal accrut l’intérêt des Américains et des Européens pour le Pacifique. À la fin du siècle, un premier câble télégraphique sous-marin relie la Californie, Hawaï, Midway, Guam et les Philippines. 53

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