Une histoire de l'Océanie

résistance, même si de nombreux Polynésiens se rangèrent par intérêt du côté des Français, notamment à Tahiti. À la fin du XIXe siècle, la situation a encore changé. Les Polynésiens sont largement christianisés et beaucoup parlent l’anglais ou le français. La colonisation résultera d’un consentement résigné, variable selon les catégories de la population, montrant à la fois la disproportion des forces en présence et la domination culturelle occidentale intériorisée par les Polynésiens. Ainsi, le Samoa et Tonga passeront sans conflit armé sous différentes tutelles occidentales. L’Île de Pâques (Rapa Nui) demandera même, comme un moindre mal, à devenir un protectorat français pour éviter, en vain, une annexion par le Chili. En Nouvelle-Guinée et en Mélanésie, dans la seconde moitié du XIXe siècle, la situation est encore différente. Les archipels ne forment pas des royaumes unitaires et la pénétration culturelle occidentale est moindre. Les colonisateurs ne peuvent pas compter sur la collaboration d’un roi local pour pacifier un archipel mais, dans le même temps, ils ne risquent pas d’être confrontés à une opposition générale et organisée. À part la Grande-Terre néo-calédonienne où les Kanaks nombreux se révoltent à plusieurs reprises, les autres archipels mélanésiens sont conquis sans coup férir dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’évangélisation par les missionnaires et l’introduction des marchandises occidentales ont aussi contribué à la relative facilité des prises de possession. La Nouvelle-Guinée a certes été occupée par les Hollandais, les Allemands, les Britanniques et les Australiens au XIXe siècle mais le contrôle des hautes terres intérieures était à tel point limité que certaines populations restèrent ignorées des Occidentaux jusque dans les années 1950. Siècle d’épidémies et de colonisation, le XIXe fut aussi celui du trafic de la main-d’œuvre et de mouvements migratoires d’une nouvelle nature. Avec en Océanie le développement des plantations coloniales et de certaines activités minières (phosphates* à Makatea, nickel en Nouvelle-Calédonie…), les Occidentaux eurent besoin de main-d’œuvre à partir des années 1860. La règle générale fut le recrutement par contrat d’Océaniens suivi d’un retour au pays à son terme au bout de trois ans. Parallèlement, des migrants asiatiques chassés par la misère émigrèrent définitivement en Océanie. Des Chinois s’installèrent à Tahiti (création de la plantation d’Atimaono) à partir des années 1860 ; des Chinois à Hawaï dans les années 1870 puis des Japonais les décennies suivantes ; des Indiens à Fidji à partir des années 1870 ; des Javanais en Nouvelle-Calédonie à partir des années 1890 et dans les décennies suivantes. L’arrivée des Asiatiques contribua à métisser les sociétés d’accueil mais aussi à créer parfois de nouvelles tensions comme à Fidji. Les déplacements de main-d’œuvre océanienne participèrent aussi largement aux transformations du XIXe siècle. Certains archipels comme Tonga ou Wallis et Futuna furent peu concernées par ces migrations. Pour évoquer le recrutement des Océaniens, majoritairement des Mélanésiens des Salomon et duVanuatu, les historiens utilisent parfois les termes de blackbirding et de beachcombers désignant respectivement le trafic de main-d’œuvre et les trafiquants plus ou moins honnêtes. Il est vrai que jusque dans les années 1870, il y eut beaucoup d’exactions envers les Mélanésiens (ainsi que des trafiquants tués d’ailleurs). Jack London décrivit ce phénomène dans ses romans sur le Pacifique non sans sacrifier aux stéréotypes racistes de l’époque. Cependant la situation se normalisa dans les années 1870 puisqu’il était de l’intérêt mutuel des colonisateurs et des insulaires de trouver un terrain d’entente. Les Occidentaux avaient besoin de bras et définirent un encadrement juridique (nous sommes aussi dans le contexte de l’abolition de l’esclavage aux États-Unis en 1863). Les Mélanésiens voulaient voir le monde et acquérir les biens occidentaux tels que le tabac, les tissus, les haches métalliques, l’argent, l’alcool, les armes à feu qui entrèrent dans les échanges coutumiers, les transactions matrimoniales et les rivalités de prestige. En 1860, un premier convoi de travailleurs des Salomon partit pour les plantations du Queensland en Australie. La majeure partie des recrutés au XIXe siècle furent dirigés vers le Queensland, Fidji, les Samoa et les É.F.O. Les conditions de travail restaient dures, surtout au Queensland. La plupart des Océaniens revinrent chez eux. Environ 100 000 ont fait le voyage, les deux tiers provenant des Salomon et du Vanuatu (beaucoup de Micronésiens des îles Gilbert furent aussi engagés). Ce flux de main-d’œuvre prit fin au début du XXe siècle. Ces voyages ont eu des conséquences multiples et contradictoires en Mélanésie : ouverture sur le monde mais aussi confrontation au racisme des Blancs, modification subtile des hiérarchies mais aussi aggravation de la rivalité entre les hommes des côtes et ceux de l’intérieur des îles. L’épisode le plus sombre de cette période fut les agissements des esclavagistes péruviens et chiliens qui, dans les années 1860, raflèrent près de 3000 Polynésiens (à l’Île de Pâques mais aussi aux îles Cook, à Tokelau et aux Marquises) pour les déporter sur des « îles à guano » dont la plupart ne revinrent jamais. Ainsi en 1862, des Péruviens capturèrent des centaines de Pascuans, ne laissant qu’un demi-millier d’habitants dans l’île ; parmi les captifs se trouvaient les derniers ivi atua dépositaires du savoir ancien. 58

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