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147 SCÈNE 2 : LA PRESTATION DU TAHITIEN Le Maître de cérémonie : Maintenant, nous avons le plaisir et l’honneur d’écouter le Tahitien… 3, 2, 1 ! (pointant de son index le Tahitien pour lui indiquer le top chrono. En même temps que le jingle du concours, le bip d’un chronomètre se fait entendre.) Le Tahitien : Bonjour. Je suis… Le Tahitien ! Le « reo tahiti ». Et moi, je n’ai pas de problème de genre (petite pause et regard moqueur, nonchalant, complice.) Je sors là, directement du Fare Vāna’a12, de l’Académie. Oui. Moi aussi. Encore un, direz-vous. Mais je n’en dirai pas plus, même si l’Académie tahitienne est jeune, moderne, radieuse… Oui, oui, jeune : 1974. Quand on y pense… 1634 (il regarde le Français)… 1974 (s’auto-désignant)… (cette réplique est énoncée sur un ton provocateur, ce qui ne laisse pas indifférent le Français qui s’agite sur son siège.) Et quel beau rôle a mon Académie ! En commençant par fixer la langue à l’écrit : le « reo tahiti ». Une langue si belle et avec un si beau passé ! Et pas d’histoire de « vulgarité » avec je ne sais pas quel « latin » (défiant du regard le Français), juste le Tahitien ! Langue des rois et du peuple ! Oui ! Car j’ai un double statut dans notre fenua : à la fois langue vernaculaire, c’est-à-dire langue maternelle d’une partie de la popu- lation… Le Français : (il interrompt le Tahitien) Ah ah, notons aussi cela, maintenant le vernaculaire est à l’honneur et chez moi c’était « langue du vulgaire » ! Le Tahitien : J’ai dit que c’était avant 1539 ! Et ne me déconcentre pas, s’il te plaît ! Reprenons : j’ai un double statut, celui de langue vernaculaire et en même temps de langue « véhiculaire » ou langue seconde ou (avec un air sérieux) « lingua franca ». Autrement dit, je peux servir aux gens originaires d’archipels éloignés, pour commu- niquer entre eux. Pas de sorties de mots, pas de « valise des mots disparus »... (en aparté en réflé- chissant) Bon, un peu quand même… Au contraire, j’intègre des termes exogènes, liés aux nouveaux objets et aux nouvelles pratiques importées par le monde occidental. Et je suis la première langue océanienne à avoir disposé d’un système d’écriture alphabétique. Mais je suis langue de tradition orale avant tout. Aujourd’hui, nous prévoyons surtout d’enregistrer nos légendes et de proposer des livres audio. Quelqu’un parlait d’éloquence ? (regardant discrètement le Français) C’est moi l’incarnation de l’éloquence ! (levant les mains vers le ciel) ’Orero ! Art oratoire, discours, déclamation ! Nés de la tradition ancestrale polynésienne, pratiquée autrefois par des hommes, généralement issus de familles de haut rang. (l’Anglais et le Maître de cérémonie manifestent leur enthousiasme après cette tirade.) Viens me rencontrer au Heiva i Tahiti13 ! Une Merveille mondialement reconnue : histoire, légendes, art oratoire, coutumes des îles, chants, danses et musique ! Le Français : (la langue française s’inquiète de l’enthousiasme des autres et lance avec malice) Mais est-ce-qu’on t’aime ? Le Tahitien : (surpris et offensé) Que veux-tu dire par là ?! 12 [Académie tahitienne] 13 Le Heiva i Tahiti, grande fête culturelle des Polynésiens, concours de danse et chants

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