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148 Le Français : Rien… (sournoisement) Je me demandais juste… Laquelle d’entre nous est la plus sollicitée… (le regard fuyant, par peur de la réaction du Tahitien, mais secrètement satisfaite de sa bravoure.) L’Anglais : (craignant que la crise diplomatique ne s’aggrave) Je ne voudrais pas dire, mais quand deux se disputent, le troisième l’emporte… (avec accent anglais) (cherchant du regard le Maître de cérémonie) Est-ce mon tour, Maestro ? Le Tahitien : (haussant le ton) What ? Je suis la langue d’origine ! Une composante primordiale de l’héritage… Le Français : Je n’ai rien dit… Le Tahitien : Je suis un marqueur identitaire ! Et je suis… Le Français : (l’interrompant, avec une gêne accrue) Je ne voudrais pas dire… Mais certains disent… Pas moi… Mais certains disent… (les mots qui suivent sont prononcés sur un débit rapide tandis qu’il s’éloigne, manifestant sa crainte de déclencher un mécontentement trop vif) que je suis la langue de la… réussite… Le Tahitien : (silence – le Tahitien s’approche très calmement du Français puis, en le regardant droit dans les yeux, il lui rétorque implacablement) Tu veux que je dise vraiment ce que j’en pense ? Tu es seule, à être aussi… alambiquée ! Sophistiquée ! Difficile et compliquée ! Le Français : (désappointée) Hum ! C’est la même chose… Tout ce que tu as dit… Ce sont des synonymes… Le Tahitien : (il continue la seule adresse du Français, oubliant pour le moment le public) Je fais partie d’une belle famille linguistique de sept langues autochtones (il les énumère d’un ton rapide) le tahitien, l’austral, le ra’ivavae, le rapa, le mangarévien, le pa’umotu et le marquisien… sans oublier la grande famille de trente-sept langues qui recouvre la moitié orientale du Pacifique. Tu es seule au monde, ma chère, toi et tes exceptions… Le Français : Ah bon… seule ? et les 300 millions de personnes qui m’utilisent, qui me parlent dans le monde entier ? Langue officielle de 29 pays ? (posture prétentieuse.) Le Tahitien : Ah oui, c’est cela que tu trouves comme réponse… ( l’adresse du public) Vous préférez une bague en cuivre, que tout le monde utilise (désignant le Français) ou un diamant rare ? (se désignant.) Le Français : « Si vous me réduisez au désespoir, je vous avertis qu’une femme en cet état est capable de tout14. » Le Tahitien : (poursuivant l’adresse du public) Quand tu parles tahitien, c’est pour prouver que tu es un vrai Tahitien (le Français prend une posture faussement incommodée.) Mes mots-clés ? (voix mystérieuse, incantatoire soufflant avec fierté les mots tantôt droite, tantôt gauche) Arofa, Moana, Fenua, Mana15… Tous : (se regardant envoutés, charmés, fascinés, enchantés comme s’ils souhaitaient que ce moment magique se prolonge.) Le Français : Je ne voudrais pas dire, mais… Tous : (Ensemble) Tais-toi ! Le Kaina : Charmant lui, rien à dire16 ! Le Tahitien et le Français : (remarquant la présence de celui qui vient de parler, ils se regardent l’air surpris, et s’adressent d’une seule voix aux deux autres personnages) C’est qui lui ? (ils désignent Kaina sans le regarder.) 14 De Molière / Georges Dandin 15 <trad. ((tah)) [arofa = bonté, compassion] ; [moana = océan profond] ; [fenua = terre, pays, île] ; [mana = force supérieure, puissance surnaturelle le pouvoir surnaturel du sacré]> 16 <trad. ((kai)) Il faut reconnaître qu’il a du charme !>

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