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35 Grand Loup restera toujours l’aîné. Grand Loup découvre qu’il est toujours Grand Loup même si rien n’est immuable. D’ailleurs lui-même grandit, y compris en sagesse. Grand Loup et Petit Loup, les deux frères, expérimentent la rivalité dans la complicité, à moins que ce ne soit l’inverse. «Grand» est une qualité, c’est aussi la moitié d’un nom propre. L’histoire est l’éloge d’un temps propice à la réflexion. Grand Loup et Petit Loup ne se poursuivent pas en scooter, ils ne zappent pas des cartoons. Ils prennent le temps. Ils jouent, mangent, dorment. Ils grimpent, marchent, courent. Ils pensent, apprennent à attendre et, nécessaire expérience, connaissent l’ennui. Grand Loup a même un livre. Les illustrations de l’album invitent à la contemplation puis à la méditation. • Écriture Grand Loup et Petit Loup d’abord se taisent puis échangent des choses avant d’échanger des mots. «Où étais-tu ? - Là-bas. - Sans toi, je m’ennuie. - Moi aussi, je m’ennuie.» C’est par des mots que l’auteur construit le récit comme c’est par des mots que Grand Loup et Petit Loup structurent leur relation à autrui et au temps. Grand Loup définit ses sentiments du moment, les compare à ceux d’avant et envisage ceux à venir. Grand Loup est amené à attendre le retour de Petit Loup «plus longtemps qu’il aurait jamais cru» et, dans cette attente d’autant plus longue qu’elle est douloureuse, Grand Loup se demande où est Petit Loup pendant que lui-même est près de l’arbre, à l’attendre. «Depuis toujours, Grand Loup vivait là, seul sous son arbre, en haut de la colline… Toujours, a présent, il y aurait le petit.» Juxtaposées, la première et la dernière phrase résument cette histoire écrite au passé simple et à l’im- parfait. Prépositions (depuis) et adverbes (toujours), soigneusement choisis, articulent les phrases du récit. Les mots spontanés de Grand Loup et Petit Loup s’insèrent dans le corps du texte qui allie simplicité et élégance. L’emploi du conditionnel présent à la troisième personne du singulier ajoute in fine une note de complexité. «Il était une fois» ne commence pas rituellement le récit mais la formule, modifiée en «une dernière fois», «la première fois», «à deux fois», le ponctue à neuf reprises. Vivre, venir, arriver, commencer, être, rester, penser, recommencer, laisser, faire, attendre, revenir, continuer, approcher, grandir, avoir, s’ennuyer : ces verbes disent des choses qui se produisent, durent, précèdent d’autres choses ou leur succèdent, se passent en même temps que d’autres choses, se reproduisent, changent. L’enfant peut d’ailleurs imaginer ce que fait Petit Loup pendant que Grand Loup l’attend. L’enfant est au cœur de l’apprentissage du langage, lui-même au cœur de tous les apprentissages. La disposition du texte ne doit rien au hasard : un intervalle (un hiatus) sépare deux paragraphes afin de restituer l’écoulement du temps entre deux événements ou la durée d’une méditation de Grand Loup. Dans cet album, la musique des mots est soutenue par l’esthétique des images. Grand Loup et Petit Loup contribuent par un jeu d’analogies à rendre intelligible à l’enfant auditeur (ou lecteur) les difficiles relations entre frères qui, nécessairement, évoluent avec le temps. En cela, Grand

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